Orfèvres contre Cour des monnaies
(1637-1747)
La soumission des corporations à un cadre judiciaire est typique de la manière dont l'Ancien Régime pense le rapport entre activités de production et ordre public : elle est à la fois obligatoire (l'activité se soumet au contrôle ordinaire des juges), et différencié (cette soumission vous différencie d'autres groupes professionnels ou sociaux). Ainsi les orfèvres, par leur maniement des métaux précieux, relèvent d'une surveillance juridictionnelle que la monarchie a voulu confier à une cour souveraine spécifique, la Cour des monnaies. Pour autant, d'autres tribunaux parisiens étaient susceptibles de prétendre au contrôle ordinaire de l'orfèvrerie à l'image des autres corporations, à savoir le Châtelet et le Parlement.
Ainsi le corps des orfèvres nourrit un immense conflit de juridictions, entre Cour des monnaies et Châtelet, au cours duquel sont débattus les ressorts des uns et des autres : quelle autorité doit venir garantir le titre de l'or et de l'argent dans la ville, quelle autorité peut prononcer la réception des nouveaux maîtres et la conformité des chefs-d'œuvres, quelle autorité doit recevoir le serment des nouveaux élus, etc. À cette occasion, la corporation défend ses privilèges, ses libertés, bien sûr, mais aussi une certaine posture typiquement bourgeoise, une notabilité qui est celle d'un corps politique réputé, celle d'hommes confectionnant des objets (vaisselle, bijoux) destinés aux classes dirigeantes. La corporation tente de sortir du conflit de juridictions pour défendre ses particularités, et son appartenance au monde quotidien des métiers.
De cette façon, de tels conflits que le Conseil du roi est invité à continuellement arbitrer, pendant un siècle et demi, montrent bien deux espaces de pouvoir en rivalité, le monde des magistrats royaux et le monde des marchands bourgeois. Leurs légitimités s'affrontent dans une capacité, mise en concurrence délibérément par le roi, à incarner la valeur sociale et politique des biens de consommation et, ici, des biens de prestige.