Le projet
Le corpus réuni ici sous le titre de « Factums des métiers » est le fruit d'une double intention : celle d'étudier le corporatisme d'Ancien Régime, tout en offrant à la lecture les sources qu'il a laissées. Ces sources sont issues de l'activité rédactionnelle et banale de ce que nous appelons, aujourd'hui, les « corporations ». Prenant place parmi les innombrables procès que ces groupes professionnels ont diligentés entre eux, ou à l'encontre d'une juridiction, d'un texte de loi, voire d'un simple particulier, elles reflètent en effet leur quotidien, et, par conséquent, le quotidien commercial d'une ville française des XVIIe et XVIIIe siècles.
Le corporatisme peut s'apparenter à un litige quasi permanent agité par ses propres acteurs, d'où la possibilité de réunir la documentation disponible sous l'intitulé de « factums », à savoir des textes de contestation, revendication, accusation, défense, rédigés dans le cadre d'une procédure (devant le Conseil du roi, le Parlement, un tribunal de première instance...). Pour la plupart, les textes présentés s'inscrivent dans une suite argumentative, d'attaques et contre-attaques impliquant deux parties principales (par ex. épiciers contre apothicaires), dans un lieu donné. Pour l'essentiel, et sauf indication contraire, ce lieu est ici Paris.
Si l'intitulé de « factum » semble alors quelque peu usurpé, eu égard à sa ou ses définitions académiques, il n'en recoupe pas moins la production immense, et parfois difficile d'accès, que les agents du commerce, de l'artisanat, ont tiré de leur existence collective. On n'entrera pas ici dans le débat portant sur les auteurs « réels » de ces textes. Les corporations ? Ou les auxiliaires de justice, avocats et procureurs, qu'elles engageaient ? Ces textes peuvent-ils réfléchir l'image courante des gestes de vente et de confection, en usage avant la Révolution ? Sans doute pas. Bien des développements sont consacrés à des aspects purement formels, juridiques, jurisprudentiels, protocolaires, hiérarchiques.
Toutefois, on ne peut ignorer, d'une part, que ces aspects étaient à la base de toute expérience commerciale sous la période. Le rapport au droit était omniprésent, et imposait aux acteurs une mise en équivalence de leurs actes économiques avec une légitimité juridique, sociale, politique à les accomplir. D'autre part, la définition juridique des techniques ou des marchandises impliquait toujours leur définition pratique. Du reste, les « factums » sont souvent les seuls vestiges permettant de reconstituer la réalité autant que les aléas, les rivalités ordinaires, que traverse cette expérience commerciale, collective mais aussi individuelle, dans son lien à la société, à la monarchie, aux normes techniques. Ils sont le témoin, volontiers unique, d'un flot d'événements liés à une économie incorporée quasi impénétrable autrement.
Enfin, la préférence portée ici à l'argumentation, aux allégations des métiers, plutôt qu'aux jugements auxquels les factums répondaient bien souvent, est au cœur de ce projet. Ce dernier veut mettre l'accent non sur l'état de la réglementation en rapport à l'exercice commercial ou artisanal, mais plutôt sur la manière dont les métiers travaillaient cette réglementation, et l'intégraient à de multiples dispositifs professionnels, civiques, domestiques.
Le caractère systémique que revêt le litige, le procès, dans la revendication autant que dans l'application d'un droit à entreprendre, vendre, confectionner, donne dès lors à cette documentation une dimension monumentale, hors des simples possibilités de compilation qui sont celles de ce site. C'est pourquoi, d'une part, les textes présentés ici ne représentent qu'une infime portion d'un corpus beaucoup plus large, disponible dans de nombreux fonds publics, et pourquoi, d'autre part, les dossiers retenus ont vocation à se multiplier, au fur et à mesure de leurs lentes transcriptions, structurations, mises en forme, réalisées par une équipe du Centre de recherches historiques (EHESS/CNRS). Il s'agit bien de rendre compte d'une enquête historique et d'une exploration documentaire au long cours.
Le site
La seule présentation possible pour l'ensemble des textes a été de répartir ceux-ci dans des dossiers qui, la plupart du temps, se rapportent à un conflit général, à un processus d'évolution, une conjoncture commerciale ou financière, auxquels ils ont voulu réagir : attribution de privilèges à l'une ou l'autre corporation, défense ou conquête d'une liberté vis-à-vis de telle juridiction, refus de telle réforme gouvernementale, etc. Au sein de chaque dossier, les textes sont rangés selon un ordre chronologique et/ou dialectique, indiqué par une suite de chiffres croissants. Un rapide descriptif sert à leur référenciation et les installe dans une ou plusieurs thématiques précises.
La mise en ligne des factums est le fruit d'une chaîne de traitement numérique. Son objectif est double : strucutrer les textes dans un format stable et interprétable par l'outil open source TEI Publisher, à partir duquel le site Factums des métiers est construit, et les doter des éléments de référencement évoqués plus haut. La chaîne de traitement opère ainsi la conversion des textes, d'abord saisis dans des documents Microsoft Word, vers le format XML et son standard Text Encoding Initiative (TEI).
Le XML permet de stocker des textes et d'encoder leur structure et leur mise en page indépendamment de toute machine ou système. Son usage garantit la conservation et la transmission du contenu de chaque fichier. La TEI est un ensemble de recommandations visant à encoder des données (les textes) et leurs métadonnées (les informations sur ces textes) dans un document XML. Elle se présente comme un format interopérable maintenu et soutenu par une communauté internationale de chercheuses et de chercheurs en sciences humaines et en sciences sociales. Le choix de ce format standardisé pour les factums favorise leur consultation et invite à utiliser les textes dans d'autres programmes de recherche, en sciences sociales, mais aussi au-delà, par exemple dans des projets centrés sur l'ingénierie, l'informatique et la fouille de données.
La chaîne de conversion se divise en plusieurs étapes :
- Conversion des documents Microsoft Word de chaque dossier en fichier XML à l'aide de la librairie Pandoc ;
- Nettoyage de ces premiers fichiers XML par le biais d'expressions régulières (regex) ;
- Création d'autant de fichier que le fichier XML primitif contient de factums, et adjonction à chacun de ces nouveaux fichiers des métadonnées qui lui sont propres (titres, dates, parties en présence, juridiction et description du litige) ;
- Ces fichiers XML sont répartis dans des dossiers correspondant à la série de factums où ils s'inserrent, et peuvent ensuite être mis en ligne sur le site Factums de métiers.
- Une cinquième étape, si elle est activée, permet de rassembler l'ensemble des factums dans un seul fichier XML, transformé en document LaTeX à l'aide d'une feuille de style XSL, qui est ensuite compilé de manière à obtenir un document PDF.
Crédits
- Direction du projet : Centre de recherches historiques (UMR 8558/ CNRS-EHESS)
- Direction scientifique : Mathieu Marraud, chargé de recherches au CNRS
- Direction technique : Jean-Damien Généro, ingénieur d'études du CNRS
- Collecte photographique : Valérie Gratsac-Legendre, ingénieure de recherche de l'EHESS
- Participation à la saisie des textes : Geneviève Morin, docteure de l'EHESS
- Structuration XML-TEI des textes : Jean-Damien Généro
- Développement et maintenance de l'application : Jean-Damien Généro et Bertrand Dumenieu, ingénieur de recherche de l'EHESS. Remerciements : pôle Infrastructures de la DSI de l'EHESS
- Maquette graphique : Hugo Chièze (EHESS)
- Hébergement : IR* Huma-Num
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