Épiciers
contre
Grainiers
(1698-1767)
Désigner celui des métiers qui pourra accéder à telle ou telle marchandise aboutit souvent à un partage des compétences, à une coexistence de privilèges distincts portant sur un même produit. Le cas des légumes secs, abordés ici entre corporations des épiciers et des grainiers, est l'un de ces nombreux exemples de répartition qu'engendre le corporatisme. Très peu de métiers sont dotés de privilèges exclusifs, ou suffisamment délimités pour permettre à un collectif de s'organiser isolément des privilèges d'autrui. S'il est très souvent mis en œuvre par les tribunaux royaux, et surtout par le Conseil du roi qui apprécie la concurrence entre acteurs, un tel partage implique cependant des critères d'attribution. Parmi ceux-ci apparaissent souvent la différence faite entre commerce de gros et de détail.
Les fèves, pois et lentilles se prêtent ainsi à un complexe jeu de distribution entre les deux corporations, selon leurs capacités d'approvisionnement quotidien de la ville et de financement des flux, dans un régime de grandeurs qui n'est pas sans faire écho aux grandeurs sociales des deux métiers en présence, selon leur connotation "marchande" ou "artisanale". Dès lors, gros et détail deviennent des valeurs discriminantes, pas seulement propres aux poids et mesures, mais aussi aux distances d'achalandage, aux horaires de vente en usage à la Halle, aux dignités des métiers sur l'échiquier politique de la ville. À chaque fois, le privilège parvient à partager inégalement, et donc conflictuellement entre métiers, toutes ces légitimités à prendre en charge les produits nécessaires à la ville.